Rhum

Si tous les rhums sont issus d’une seule et unique matière première, la canne à sucre, leur identité dépendra de la transformation de celle-ci.

Pur jus (ou vesou), mélasse ou miel ?

Cette question déterminera alors « tradition française », « tradition hispanique » ou alors « tradition anglaise ».

Les Antilles françaises, en particulier la Martinique et la Guadeloupe, sont la vitrine du monde du rhum en termes de tradition française et surtout de rhum agricole. Seule l’île de la Martinique bénéficie d’une AOC (appellation d’origine contrôlée) depuis 1996. Pourtant, de façon plus empirique, la notion de tradition française dans l’élaboration du rhum fait référence à la manière dont la canne à sucre va être transformée pour sa distillation : pur jus ou mélasse ? Bien souvent le raccourci entre pur jus de canne et rhum agricole est établi. Pourtant, si la notion de rhum agricole va de concert avec celle de rhum de tradition française, il y existe une nuance d’ordre géographique.

La législation impose que la mention « rhum agricole » s’applique uniquement aux rhums français d’Outre-mer et à ceux qui bénéficient d’une Indication Géographique reconnue par l’Europe, comme la Guyane (2015) ou l’île de La Réunion (2015). Une fois cette distinction territoriale faite, les rhums agricoles désignent, par extension, les rhums élaborés à partir de pur jus de canne. L’âme des rhums de tradition française, des clairins haïtiens, des « fangourins » réunionnais, est incontestablement le pur jus de canne. Appelé également vesou, le pur jus de canne fermenté est ensuite distillé, vieilli puis réduit (le vieillissement comme la réduction sont à la discrétion du maître de chais). Néanmoins, tradition sucrière oblige, la mélasse peut entrer dans le processus d’élaboration des rhums dits de tradition française et l’élaboration du rhum de pur jus n’apparaît pas forcément comme une évidence. Au-delà de la tradition et du savoir-faire, la culture de la canne est indéniablement liée à l’histoire du rhum. La canne à sucre est une matière première fragile, elle s’oxyde facilement. Pour obtenir un jus de canne de la meilleure qualité possible, il faut la couper, la broyer et la presser dans les 24-48 heures. Les rhums dits de tradition française, donc élaborés à partir de pur jus de canne, nous emmènent à la découverte de terroirs propices à sa culture. Haïti, l’Ile Maurice, La Réunion, la Polynésie ou encore la Guyane élaborent des rhums de tradition française tout en nous offrant des profils aromatiques singuliers grâce à la richesse de leur terroir et de leur histoire.

S’il s’agit d’un rhum de tradition anglaise, vous trouverez souvent rhum écrit « rum » sur l’étiquette de sa bouteille. Dès le XVIIe siècle, les Anglo-Saxons ont largement contribué à développer l’industrie sucrière et rhumière. Aujourd’hui encore, même si elles se sont affranchies depuis bien longtemps de la tutelle britannique, les îles dites « anglaises » comme La Barbade, la Jamaïque ou encore Trinidad, sont restées fidèles à cet héritage britannique. Un style qui a influencé des producteurs jusqu’en Indonésie et en Afrique. On parle de rum de style anglais pour désigner des rhums originaires des anciennes colonies britanniques. Ils sont élaborés à partir de mélasse et distillés en alambic pot still.

Comme les rhums de tradition espagnole, les rhums de tradition anglaise sont élaborés à partir de mélasse. La nuance se joue à l’étape de la distillation. Ils sont distillés en pot still. Ces alambics à repasse apportent à l’eau-de-vie une texture huileuse qui confère aux rhums de tradition anglaise un profil aromatique assez charpenté. Ces rhums de mélasse aux notes épicés étaient à l’origine utilisés pour des assemblages afin d’apporter du corps et davantage de caractère. Plus qu’une histoire d’alambic, le style britannique du rhum peut aussi séduire le palais d’amateur de whisky. Qu’il s’agisse des rhums d’Antigua, de la Barbade, de la Jamaïque, de Sainte-Lucie ou encore Trinidad, c’est leurs structures qui rappellent que le whisky fait partie intégrante de la culture anglo-saxonne.

Le rhum de tradition hispanique a pour modèle le ron cubain. Elaborés à partir de mélasse, distillés en alambic à colonne, les rones cubains sont très prisés en mixologie. Si Cuba apparaît comme une figure incontournable dans le monde du rhum, elle est loin d’être pionnière dans l’histoire du rhum. Pourtant, elle a su créer un style de rhum (rones) réputé doux et léger. Si aujourd’hui, les rhums dits de tradition espagnole diffèrent du modèle cubain d’origine en raison d’une édulcoration plus poussée, ils ont pour dénominateur commun la matière première et sa transformation. N’oublions pas que l’histoire de l’industrie sucrière et intimement liée à celle du rhum. La mélasse est le résidu incristallisable issu du raffinage du sucre. Transformer le volume de mélasse considérée comme un déchet sucrier en la en la distillant : pari réussi. Elle représente la clef de voûte des rhums de tradition espagnole. De plus, elle présente un avantage non négligeable dans le processus d’élaboration du rhum : elle se conserve et peut donc s’exporter contrairement à la canne à sucre fraiche. Quant au miel de canne à sucre, il s’agit du jus de première presse qui est chauffé doucement. Il se concentre par l’évaporation de l’eau. L’utilisation du miel de canne dans l’élaboration des rhums entre dans le cahier des charges des rhums prétendants à l’indication géographique « rhum du Guatemala ». En Amérique du Sud comme en Amérique Centrale, il n’est pas rare que les maîtres de chais assemblent des rhums de mélasse et de miel afin d’obtenir une palette aromatique plus riche et plus complexe. Ensuite la patience entre en jeu. Que ce soit dans les Caraïbes, en Amérique du Sud ou en Amérique Centrale, la colonisation espagnole a fortement influencé les méthodes d’élaboration du rhum et par là-même leur style. Connus pour être ronds et complexes, les rhums de tradition espagnole doivent leur personnalité en particulier au mode de vieillissement, largement inspiré de la méthode solera née en Andalousie. Cette méthode a pour concept que les eaux-de-vie les plus âgées « éduquent » les plus jeunes. Pour cela, les fûts sont empilés sur plusieurs niveaux : criadera. Ce système de cascade où le rhum est soutiré par le haut pour combler le niveau des fûts rangés en dessous permet de donner un coup de peps aux rhums les plus vieux.